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Yvon Taillandier

Souvent je me suis réjoui de voir que des peintres amis et dont j’estimais l’œuvre exposaient à Châtillon. Aussi suis-je extrêmement heureux de présenter dans cette belle ville si accueillante aux œuvres artistiques, ces témoignages de mon monde imaginaire que je nomme le « taillandier-land ». Ce monde, que j’aime mieux désigner plus modestement comme un pays, contrairement à l’univers de la Bible, ne s’est pas créé en six jours, mais en plusieurs dizaines d’années.

 

Toutefois, dès ma jeunesse et plus précisément dès mon enfance les premiers éléments de ce pays, ses premières régions sont apparues. Je n’ai pas inventé d’océans, ni de fleuves, ni de rivières, ni mêmes de ruisseaux, tout d’abord. Mais, sur des eaux qui n’existaient pas encore dans mon imagination d’une façon précise, j’ai fait voguer des bateaux, quelques lignes sinueuses me suffisant pour évoquer des vagues.

 

D’ailleurs, signe du fait que l’élément sur quoi voguaient mes nacelles imaginaires m’importait peu, je me suis très vite intéressé aux passagers et plus précisément à leurs visages. Ma première exposition que j’ai faite alors que j’étais âgé de quinze ans, était une exposition de portraits, dont on pourra trouver quelques exemples dans cette exposition et qui n’ont pas été réexposé depuis. Puis j’ai changé. Après avoir beaucoup dessiné, je me suis mis à beaucoup écrire et pour concilier écriture et dessin, je suis devenu critique d’art à « Connaissance des Arts » et à la revue « Vingtième Siècle ». Exercice passionnant, mais si difficile qu’après plusieurs années de labeur au cours desquelles j’ai eu la chance et la joie de rencontrer Giacometti et Miro et de devenir leur ami, j’ai fini par reprendre mon crayon de dessinateur auquel j’ai ajouté les ciseaux du sculpteur sur carton construisant des « monuments de carton » et les pinceaux du peintre occupé à traduire en tableaux les textes où j’avais décrit la croissance d’une boule qui, à l’air libre, était devenue peu à peu un « trocébibi », c'est-à-dire quelqu’un comme nous sommes presque tous ; un tronc surmonté d’une tête et muni de deux bras et de deux jambes. Mais cet individu m’a paru trop simple. Je lui ai intimé de laisser grossir ses fesses. Celles-ci sont devenues un second tronc, mais horizontal. Pour porter ce second tronc, j’ai fait pousser deux jambes s’ajoutant aux deux premières. Certains voyant ce quadrupède ont parlé de « centaure ». Je leur ai donné raison, mais en leur faisant remarquer qu’entre mon « centaure » et celui inventé et rendu célèbre par les grecs, il y avait une importante différence. Le centaure des grecs unissait deux genres, le genre humain et, par ses quatre membres déambulatoires empruntés au cheval, l’animalité. Pour ce qui est de mon « centaure », il est tout entier humain ; tronc humain en vertical, tronc humain en horizontal, jambes et pieds humains et non point jambes et pieds de cheval. Je suis du temps où le long martyr des chevaux, pour employer une expression d’Anatole France, s’est terminé. Pour un peu mon « centaure » aurait des roues comme une bicyclette, une motocyclette ou une automobile. Mais toute libre que soit mon imagination, je ne l’ai pas laissé courir jusque-là.

 

Je me suis contenté d’augmenter mon personnage augmentant le nombre de ses pieds, de ses jambes et de ses troncs et le baptisant « centaure », c'est-à-dire « centaure amélioré ».

J’ai fait monter les uns sur les autres mes centaures, très améliorés au plus bas, et de moins en moins jambés à mesure qu’ils s’élèvent pour former ensemble une pyramide.

 

Pendant des années, j’ai pensé que la forme pyramidale était la meilleure. Mais aujourd’hui, à mon avis plus raisonnablement, je suppose que c’est le rectangle. Nous vivons entourés de rectangles. Les pièces où nous menons notre existence sont presque toujours des prismes rectangulaires. Le rectangle est la forme la plus fréquente de nos portes et fenêtres.

 

Il s’en suit que je m’efforce de donner à mes compositions une forme qui réitère le rectangle de la toile ou du papier. Mais cette forme ne doit pas être géométrique. Il faut seulement qu’elle imite le tracé géométrique du support, qu’elle réitère en plus petit et en humanisé.

 

Faire un rectangle et d’autres figures qui le complètent en mettant en œuvre des personnages.Mes « taillandier-landais » s’y prêtent facilement. Pour humaniser le haut du rectangle, je relie deux taillandier-landais debout au moyen d’un tube associatif horizontal qui part du crâne du premier et aboutit au crâne du second. Il m’arrive aussi de demander à l’un de mes personnages de tirer la langue. J’oblige cette langue à grandir démesurément, à descendre jusqu’aux pieds du tireur de langue, à passer sous ses organes porteurs et je décide qu’il s’agit d’un tapis volant. Pour qu’on comprenne bien qu’il s’agit d’un tapis volant, il m’arrive de dessiner au-dessous, au bas de la page un aéroplane ou un hélicoptère.

 

En supprimant le noir dans la coloration que j’emploie, je rends celle-ci légère et bien adaptée à l’allégresse que je veux exprimer et communiquer à quiconque regarde mes tableaux.

 

Yvon Taillandier

Mars 2008

Exposition

18.09 – 09.11.2008

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